Tuesday, April 23, 2024
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Congo: quand le général Mobutu prenait le pouvoir «pour cinq ans»

Le général Joseph-Désiré Mobutu est arrivé au pouvoir, le 24 novembre 1965, à la faveur d’un coup d’Etat militaire, qui n’avait pas étonné outre mesure les diplomates en poste à Léopoldville. RFI a pu consulter la correspondance diplomatique récemment déclassifiée par le ministère français des Affaires étrangères. Ces télégrammes montrent que le coup de force n’avait pas provoqué la surprise, ni à Paris ni à Washington.

A Léopoldville, il règne ce jour-là une atmosphère de kermesse. Sur la place Léopold II, où s’est massé un public nombreux, mais aussi à l’intérieur du Parlement. On attend avec fébrilité le général Mobutu, qui a pris le pouvoir « par amour de la nation », quelques jours auparavant (le 25 novembre 1965). Le jeune officier – il n’a que 35 ans – doit maintenant annoncer la composition de son gouvernement. Un détail n’échappera pas à l’ambassadeur de France, qui assiste à la cérémonie. Quand le général Mobutu fait son entrée à l’Assemblée, il prend place dans un fauteuil « recouvert de peau de léopard », relève le diplomate.

L’ambassadeur Jacques Kosciusko-Morizet (grand-père de Nathalie) ignore que ce symbole de la chefferie deviendra l’emblème d’une dictature qui s’éternisera pendant 32 ans. Mobutu n’a pas encore troqué son béret pour son célèbre chapeau en peau de léopard. Comme il n’a pas encore troqué le sabre d’apparat pour sa célèbre canne en bois sculpté, un autre symbole de son autorité.

L’ascension politique de Mobutu est décrite dans les télégrammes que le ministère des Affaires étrangères vient de déclassifier. Dans cette correspondance, les diplomates en poste au Congo relatent ses faits et gestes, quasiment au jour le jour, pour comprendre qui est ce nouvel « homme fort ». Quelques jours après son coup d’État, dans l’espoir de frapper les esprits, Mobutu prononcera un discours devant 30 000 personnes au stade roi Baudoin (l’actuel stade Tata Raphaël). Concert de la Garde républicaine, carrousel de motocyclistes de l’escorte présidentielle, démonstration de close-combat exécutée par des parachutistes, tout est fait pour tenir en haleine le public.

« Balayer cette politicaille »

Lorsque le général Mobutu s’approche du micro, les ministres présents se lèvent pour le discours, qu’ils écouteront debout jusqu’à la fin. Le nouveau maître de « Léo » – en chemise de parachutiste, col ouvert – explique les raisons de son coup d’État. Il en avait assez des conflits politiciens, de l’inertie administrative, de la corruption, etc. Il entendait désormais « balayer cette politicaille ».

Le général assure qu’il restera au pouvoir « pendant cinq ans », précise l’ambassadeur Kosciusko-Morizet, qui rapporte la teneur de son discours dans ses grandes lignes : « On pourrait en 1970 dresser le bilan : le Congo d’aujourd’hui avec sa misère, sa faim et ses malheurs serait transformé en pays riche et prospère. » Exhortant tous les Congolais à se « retrousser les manches », Mobutu invite alors ses ministres à joindre le geste à la parole. « Tous docilement enlevèrent leurs vestes et leurs cravates et retroussèrent leurs manches de chemise, ajoute le diplomate. Toute la foule les imita joyeusement. »

Au Congo, tout le monde ne fera pas preuve du même enthousiasme. Surtout pas à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi), l’éphémère capitale de l’État autoproclamé du Katanga (1960-1963). Le gouverneur du Katanga oriental, Godefroid Munongo, ne cache pas « la déception que lui inspire l’installation d’une dictature militaire dont il veut cependant espérer qu’elle ne durera pas cinq ans », écrit Jacques Videlier, consul général de France à Elisabethville, le 1er décembre 1965.

Soulagement du public

Les Katangais qui entretiennent de bonnes relations avec la Rhodésie voisine (notamment parce que l’Union minière a besoin de charbon rhodésien pour ses mines de cuivre) voient, toutefois, le coup de force de Mobutu d’un bon œil. Kasa-Vubu passe, à Elisabethville, pour un gauchiste. Surtout depuis qu’il a félicité le président Kwame Nkrumah pour ses efforts pour libérer l’Afrique de la domination étrangère (au sommet de l’Organisation de l’unité africaine, en octobre 1965, à Accra).

« Il suffisait d’entendre les conversations pour comprendre que la majorité des Africains et la quasi-totalité des Européens étaient satisfaits, assure le consul Videlier. Le grand public éprouvait un soulagement. Plus particulièrement, les milieux restés fidèles à M. Tshombe – et ils sont encore la grande majorité – respiraient en apprenant que le président Kasa-Vubu avait été renversé. »

Cela n’empêche pas les Katangais de se méfier de l’armée qui vient de prendre le pouvoir à Léopoldville. « Chacun, blanc ou Noir, la redoute plus ou moins, car chacun sait qu’elle excelle davantage dans l’art de tracasser les civils que dans celui de pourchasser les rebelles, résume le diplomate. Qu’elle prenne en main tous les attributs du pouvoir ne laisse présager rien de bon. »

Mobutu espère arracher son pays au sempiternel conflit entre le président Kasa-Vubu, personnage austère et solitaire, et le Premier ministre Moïse Tshombe, tribun connu pour ses largesses. Bien qu’il ait été l’homme de paille de la Belgique, l’ex-président du Katanga indépendant est très populaire, y compris à Léopoldville, depuis la fin de la sécession du Katanga. Cet anticommuniste est perçu comme l’homme qui ne reste pas les bras croisés face aux rébellions, qu’il s’agisse des Simba (maoïstes) ou des forces de Laurent-Désiré Kabila (père de l’actuel président).

Il est tellement corrompu, toutefois, que ses adversaires le surnomment « monsieur Tiroir-Caisse » (1). Un diplomate français dira plus… diplomatiquement que Tshombe a les « moyens financiers pour rendre plus compréhensifs certains hésitants ». Ses ennemis lui reprochent notamment d’acheter les parlementaires lorsque ces derniers sont appelés à voter la confiance au gouvernement. En octobre 1965, un mois donc avant le coup d’État de Mobutu, les tensions entre Kasa-Vutu et Tshombe étaient si vives que des rumeurs circulaient sur un affrontement, en pleine capitale, entre l’armée (fidèle au président) et des mercenaires (fidèles au Premier ministre).

Dans un discours en forme de réquisitoire, le chef de l’État avait alors fustigé Tshombe pour la sécession katangaise et sa corruption. Il lui avait surtout reproché d’être rejeté par l’Afrique entière pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba, le dirigeant nationaliste assassiné en 1961. « Jamais on n’avait entendu le solitaire du Mont-Stanley parler d’un ton aussi ferme et véhément, relève l’ambassadeur Kosciusko-Morizet dans un télex daté du 13 octobre 1965. A certains moments, les tremblements de sa voix laissaient percer une exaspération, voire une haine, longtemps difficilement contenue. »

Le troisième homme

La guerre d’usure entre Kasa-Vubu et Tshombe, espérait-on à Washington, se terminerait en faveur du premier, même si le « numéro un » congolais ne suscitait guère l’enthousiasme au département d’État. La position américaine ? « Si M. Kasa- Vubu (…) met autant d’énergie à diriger son pays qu’il en a apporté à se débarrasser de M. Tshombe, c’est bon signe. Mais s’il redevient le ‘Bouddha énigmatique’, plus occupé à détruire qu’à construire, alors qu’adviendra-t-il de son pays ? » C’est du moins le résumé qu’en fait l’ambassade de France aux États-Unis.

Dans la capitale américaine, on mise déjà sur un troisième homme, qui a déjà été reçu à la Maison-Blanche par John F. Kennedy. « Le comportement du général Mobutu est, dans cette affaire, suivie à Washington avec attention : “mauvais militaire, mais bon politicien”, écrit Bruno de Leusse, ministre conseiller en poste à Washington. Il pourrait (…) être prochainement l’arbitre de la situation ». Il ne croit pas si bien dire. Son télex est daté du 17 novembre 1965, c’est-à-dire huit jours avant le coup d’État de Mobutu.

L’ambassadeur Kosciusko-Morizet avait fait le même constat à Léopoldville : « Le général Mobutu demeure toujours un des éléments déterminants de l’évolution de la crise. » Kasa-Vubu restait maître du jeu, certes, mais uniquement « dans la mesure où l’appui du général Mobutu [continuait] à lui être acquis ». Kasa-Vubu avait-il anticipé le coup force de cet officier, de ce proche ? (Le président était le parrain de l’un de ses fils.) Avait-il senti le vent de la trahison se lever ? Toujours est-il que Kasa-Vubu a jugé bon de promouvoir Mobutu au rang le plus élevé de l’Armée nationale congolaise : lieutenant général. Il s’agissait là d’une récompense pour services rendus depuis cinq ans à la tête de l’armée, selon Jacques Kosciusko-Morizet, mais aussi d’« une habileté politique du chef de l’État particulièrement soucieux dans les circonstances présentes, de ménager celui qui détient en fait le pouvoir militaire ».

Après le putsch, le général fera le nécessaire pour mieux contrôler son armée. Il commencera par s’adjoindre comme conseiller militaire le général belge Édouard-Paul Delperdange. « Cette réorganisation du haut-commandement a essentiellement pour but de permettre au général Delperdange de faire prendre directement par le général Mobutu les décisions militaires », souligne l’ambassade de France. Lors de son premier coup d’État, le 14 septembre 1960, lequel visait à « neutraliser » la classe politique – à commencer par Kasa-Vubu et le Premier ministre Lumumba -, Mobutu avait exercé le pouvoir de manière provisoire. Un « collège des commissaires généraux », une junte de jeunes universitaires, avait fonctionné pendant moins de quatre mois.

rfi

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